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Toute clarté m’est obscure est une œuvre majeure pour moi. Le titre est tiré d’une ballade anonyme du XIVe siècle trouvée dans le Codex Chantilly. La dernière pièce de mon album Lieux-dits se termine par un accord tenu qui dure quelques minutes, un accord immobile à l’intérieur duquel on commence, si on y prête l’oreille, à entendre une autre musique: une musique cachée, plus près du silence. À son écoute, on désire fortement ne pas la perdre, ne pas la laisser partir… Sans le savoir au moment de la composition de cette petite pièce, j’avais trouvé la piste qui me mènerait à l’écriture de Toute clarté m’est obscure, en passant d’abord par mon album Bréviaire d’épuisements et mes plus récentes compositions. Les musiciens de Lieux-dits se retrouvent d’ailleurs dans cet ensemble élargi!

Cette œuvre est aussi le début d’un humble cheminement personnel vers l’établissement, dans mon propre travail, d’un peu du sens étymologique du mot musique (μουσική, qui concerne les Muses) à une époque où la rareté et la beauté de cet art ont été largement évacuées par une société en quête de divertissement. Selon les dires d’un très bon ami, le musicien d’aujourd’hui doit redoubler d’efforts afin de créer dans sa vie ne serait-ce que quelques secondes de musique plus belle que le silence. Hélas, la musique d’aujourd’hui semble s’éloigner volontairement de cet objectif: elle apaise et divertit, incite au bonheur facile, moralise, rend fou, fait le clown, se réapproprie, culbute, devient sociale ou politique, accompagne, guérit les malades, se fête dans d’innombrables festivals. Entouré de tout ce vacarme quotidien, courbé sous le poids des chiffres montrant inéluctablement que le public n’a jamais auparavant consommé autant de produits culturels, on oublie que la musique est d’abord un jeu de sons et de silence, et que son éventuelle pertinence ne pourrait être jugée qu’en l’assujettissant aux valeurs intemporelles de l’art humain à travers les siècles et les traditions: l’élévation de l’esprit, la quête de la beauté, le memento mori; qu’elle demeure l’un des portails par lesquels on accède à la suavité et à l’amertume de l’existence. Je ne sais pas si j’arriverai à faire quelque chose d’intéressant avec tout cela, mais il me semble encore important d’essayer.

Toute clarté m’est obscure est élaborée à partir de «nuages harmoniques» planants (que ce soit une seule note jouée à l’unisson, un accord immobile ou d’autres sons tels des bruits de clés ou de l’air sifflé). Ils servent de trame de fond à toute la pièce et y sont superposés des improvisations d’un ou de plusieurs musiciens, des textes chantés et des intermèdes passagers entièrement écrits. La composition se révèle d’une grande simplicité et suit un développement retenu des harmonies, des dynamiques et des timbres, tout en laissant une grande place au langage musical propre à chaque improvisateur.

«Toute clarté m’est obscure,
et toute biauté laydure.
et toute joye tristour;
je n’ay d’esbatement cure
quant je ne voy la figure
ont m’espoir est, sans retour.
Ha, Fortune, trop contrayre
me fus, dont ne me puis trayre,
Car quant je deu joye avoyr
tout me mis a la reverse:
Amors, a vous m’en plaing, voir.»

— ballade anonyme (XIVe siècle), Codex Chantilly

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