Montréal offre parfois de belles surprises. Pour y entendre un concert, je suis entré dans cette magnifique église, St John the Evangelist, située derrière la Place des Arts. L’église avec un toit rouge. Ambiance incroyable, cet édifice hors d’âge a l’intérieur paré de briques, la voûte du plafond est de bois presque noir de vieillesse, les petites chaises en bois rappellent celles des vieilles églises européennes, le plancher de bois franc craque avec beaucoup d’énergie. J’étais ailleurs. Atmosphère feutrée, propre au recueillement. L’endroit était donc parfaitement choisi pour la création de Toute clarté m’est obscure d’Isaiah Ceccarelli. Une pièce pour 16 instrumentistes, en partie écrite et en partie improvisée. Simple dans sa conception, l’œuvre a été reçue par un public nombreux dans un silence monacal.
Basées sur le système des harmoniques de Pythagore, les grappes de sons se définissent par le compositeur comme des nuages harmoniques planants. Ces accords sont tenus très longtemps, se modifient imperceptiblement, tranquillement. S’y ajoute quelques improvisations, souvent produites avec les bruits des instruments, sans hauteur de son. Ici l’apport des musiciens est crucial. Ceccarelli s’est d’ailleurs fait un devoir de les présenter tous à la fin du concert. Entre ces sections de nuages harmoniques, dans quelques strophes plus mélodiques, la chanteuse Ellen Wieser a livré un texte aux résonances moyenâgeuses de la plume du compositeur également. Très belle voix à la tessiture immense, elle a parfaitement servi cette mélodie baignée de l’influence de Berg. Il faut impérativement souligner le solo de la clarinettiste Lori Freedman, une des musiques les plus émouvantes et troublantes qu’il m’ait été donné d’entendre de toute ma vie.
Le public aura eu la chance de toucher un petit moment de paradis dans un samedi soir agité du centre-ville. Une zone franche où calme et volupté ont imposé leur loi. Dans la lignée des grands compositeurs mystiques: Hildegarde von Bingen, Pärt, et le Liszt en fin de parcours, Ceccarelli impose une voix unique dans notre paysage musical. À partir de prémisses simples, il nous offre une œuvre aboutie, que j’ai pris plaisir à écouter. Et ce plaisir était pour moi une surprise, je suis si peu «zen» si peu «spirituel». J’ai pourtant embarqué comme rarement.
Il faut absolument souligner le courage de SuperMusique et de ses deux têtes de proue Joane Hétu et Danielle Palardy Roger. Elles nous ont offert un cadeau étrange et merveilleux, en dehors de toutes les tendances de consommation culturelle…