Percussionist, composer and improviser Danielle Palardy Roger is for the most part self-taught. Active on the Montréal “musique actuelle” scene since 1980, she co-founded the groups Justine, Wondeur Brass and Les Poules. She also founded Ensemble SuperMusique, a shape-shifting ensemble solely devoted to the performance of new music works and improvisation.
As a percussionist and improviser, her style is unique: she structures rhythm out of time, communicating a strong, complex narrative by accumulating and layering diverse gestures. She toured Canada, Europe and the United States of America on several occasions and appeared at several prestigious international events and festivals. In the course of her unique and resolutely independent career, she has worked and shared the stage with Alexei Borisov, DB Boyko, Christopher Butterfield, Nicolas Caloia, Paul Cram, Chantal Dumas, Christine Duncan, Lori Freedman, Fred Frith, Joëlle Léandre, Torsten Mueller, Zeena Parkins, Tenko, the VivaVoce choir, and the Quasar saxophone quartet, among others and in addition to her close collaborators from the Ambiances Magnétiques crowd — Derome, Hétu, Labrosse, Tanguay and Tétreault.
Roger’s research concerns the integration of improvisation to contemporary music. In that regard, she has worked with composer Marie Pelletier and composed music for the Ensemble Contemporain de Montréal and for Ensemble SuperMusique — the latter a shape shifting ensemble entirely dedicated to improvised music and “musique actuelle.” She wrote a Harbour Symphony in 2001 (La grande entente), commissioned by the Musée Pointe-à-Callière in Montréal. Danielle Palardy Roger has made several albums for the Ambiances Magnétiques label, including Tricotage (2000) with French bassist Joëlle Léandre, Bruiducœur, prière des infidèles, an oratorio performed live in Montréal, in June of 2004, Phénix (2008) with the trio Les Poules, and Pas de deux (2008) with British guitarist Fred Frith.
Roger is a versatile artist whose projects have consistently brought her back to text, song and declamation. She has penned a large number of songs for Wondeur Brass and Justine, but also composed a musical tale (L’oreille enflée, 1990), a musical theatre (Candide sur une toupie, 1994) and, most importantly, the solo performance Le voyage en Aphasie Mineure (1998) and the oratorio Bruiducœur, prières des infidèles (2004), two works where an exploding language represents the intense realm of communication, the core of the artist’s concerns.
In juxtaposition to her music career, Danielle Palardy Roger is also general manager and artistic director of Productions SuperMusique (PSM) and is a member of the Ambiances Magnétiques label; in addition to being involved in the field of concert music she is president of the Groupe Le Vivier, which is dedicated to the founding of a place of creation, production and presentation of new music in Montréal.
Sans s’y être forcément frottés, tous les musiciens ont vu passer un jour une partition graphique de John Cage ou Morton Feldman, créateurs de ce langage à cheval entre la musique et les arts visuels. Que cachent ces énigmatiques partitions, allant d’un ensemble de signes sur la portée jusqu’au dessin le plus abstrait? C’est ce que Productions SuperMusique, codirigé par Danielle Palardy Roger et Joane Hétu, cherche à nous faire découvrir au fil d’ateliers et de concerts présentés depuis plus de vingt ans. «Au départ, SuperMusique était en grande partie constitué d’autodidactes. L’écriture graphique nous permettait alors de nous rassembler autour de la musique», explique Danielle Palardy Roger. Au fil des ans, SuperMusique se spécialise dans les musiques improvisées et l’exploration sonore et acquiert une expertise de plus en plus recherchée dans le milieu de la musique contemporaine.
La partition graphique, un «jeu de piste»
La partition graphique, par sa recherche d’interaction entre son, espace et graphisme, se situe à la frontière de la musique et des arts plastiques. Elle suggère un énoncé musical qui peut varier d’un interprète à l’autre, celui-ci devenant alors cocréateur de l’œuvre. Cette graphie pouvant prendre des formes très diverses, cela a permis de pallier les limites de la partition traditionnelle et les créateurs de ce langage étaient autant des bruitistes ( Luigi Russolo) ou des compositeurs de musique aléatoire ( John Cage, Morton Feldman) que des improvisateurs ( Earle Brown, Anestis Logothetis, Pauline Oliveros). Ce modèle s’est étendu au fil du siècle au jazz expérimental ou au rock conceptuel, répondant toujours à une idée créatrice que la notation traditionnelle ne pouvait pas restituer fidèlement.
La partition graphique est souvent accompagnée d’une consigne écrite, afin de démystifier les symboles, formes et couleurs et de fixer un cadre dans lequel l’interprète pourra exprimer sa propre créativité. «Dans la musique nouvelle, la participation de l’instrumentiste créateur devient de plus en plus urgente et présente. Les jeunes qui sortent des écoles ressentent la nécessité de se manifester en tant qu’instrumentistes créateurs.» En novembre dernier, Productions SuperMusique a organisé deux concerts autour de partitions graphiques, où l’on a pu entendre des créations d’ Émilie Girard-Charest et Marielle Groven et un autre à la Chapelle historique du Bon-Pasteur autour d’une pièce du compositeur Symon Henry qui a fait de cette graphie le fer de lance de ses œuvres. L’univers des partitions graphiques connaît un engouement certain en ce début de XXIe siècle. «Une partition graphique, c’est un jeu de piste, un chemin nouveau qu’il faut découvrir. Chaque compositeur a son propre langage et sa propre esthétique, que l’on retrouve d’une pièce à l’autre. L’instrumentiste doit donc se familiariser avec le langage du compositeur, un musicien qui se spécialise dans les partitions graphiques comprend rapidement dans quelle matière sonore le compositeur se dirige.»
Outiller les musiciens de demain
Depuis bientôt dix ans, à la demande de nombreux étudiants, SuperMusique multiplie les initiatives pour démocratiser l’usage des partitions graphiques, un outil qui peut s’avérer précieux dans le cheminement du compositeur ou de l’interprète. En mettant en place de nombreux ateliers au Gesù, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur et à la Sala Rossa, ainsi que des stages et une activité de mentorat à l’Université de Montréal, en partenariat avec le Cercle des étudiants.es compositeurs.rices (CéCo), SuperMusique répond à une demande croissante des créateurs cherchant à élargir leur langage, par simple curiosité ou réel intérêt. «Parmi les jeunes qui ont assisté à nos stages, plusieurs font aujourd’hui partie de SuperMusique», se réjouit Danielle Palardy Roger. L’ouverture des institutions traditionnelles reste pourtant très limitée et la formation des jeunes musiciens se fait le plus souvent en dehors des conservatoires et universités, grâce aux ateliers, mais aussi et surtout par la pratique instrumentale, individuelle ou collective. «Chaque improvisateur explore son propre langage des heures, des jours entiers, que ce soit la virtuosité technique ou timbrale. Il élargit aussi son écoute et son langage individuel à travers la pratique de l’improvisation, ce qui est fondamental.» Rompant avec les schémas traditionnels, compositeurs et instrumentistes trouvent dans cet univers des partitions graphiques et des musiques improvisées un espace de cohabitation où le geste créateur est partagé entre les différents participants. Les compositeurs font confiance aux interprètes, tandis que ces derniers peuvent exprimer leur personnalité et leur créativité.
Les partitions graphiques ne sont pas le seul langage permettant ce partage du geste créateur. Autre exemple, la gestuelle développée par les chefs pour composer de la musique en temps réel, dont le soundpainting est la forme la plus connue. Ce langage inventé et théorisé par Walter Thompson contient actuellement plus de mille gestes permettant au chef de communiquer avec l’orchestre pour créer une véritable peinture sonore. Au sein de SuperMusique, la gestuelle mise en place et s’enrichissant au gré des inventions est constituée de gestes traditionnellement admis dans le soundpainting et d’inventions de Jean Derome, Diane Labrosse, Joane Hétu ou Danielle Palardy Roger, entre autres. Langage en pleine expansion, il pourrait à lui seul faire l’objet d’un article plus fouillé.
Par leur implication dans la formation des jeunes générations de musiciens et de compositeurs, par la mise en valeur d’un siècle de recherche et d’invention dans le domaine de l’expérimentation sonore et des partitions graphiques ainsi que leur engagement à produire des concerts et passer des commandes, Productions SuperMusique a mis en place un créneau singulier qui répond à un besoin réel de la communauté musicale au Québec et qui est certainement amené à grandir au fil des ans. De quoi piquer la curiosité de tout un chacun…
Fred Frith played in Montréal recently along with some very talented local free improv players. I was fortunate enough to catch the show…
Legendary avant-garde guitarist Fred Frith dropped by Montréal’s Cabaret Juste Pour Rire the other night for a duo show with drummer Danielle Palardy Roger, and an opening set by two incredible percussionists - Michel F Côté and Isaiah Ceccarelli.
Côté and Ceccarelli started things off with nothing but drums. Côté was behind a standard kit extended with lots of toys and two mics rigged up two a pair of Pignose amps. Ceccarelli just had a bass drum lying on a chair along with, again, lots of toys. The pieces were all very brief which was really nice, and despite the fact that drums alone might seem limited, each piece was very different from those that came before – sound loud and frenetic, others quiet, one actually managed to elicit quite a bit of laughter from the audience, which I’m hoping was a good thing. Côté used the mics as drum sticks to great effect - creating all kinds of unusual sounds of tension and release, friction, surprisingly dynamic feedback that almost made one think of the expressiveness of the Theremin, and there were moments of all out, distorted, banging-on-a-drum fun. The feedbacking drums were paired up really well with Ceccarelli’s bowed playing. A great set.
Fred Frith and Danielle Palardy Roger were up second and once they began playing, they did not stop until their set was finished — a really long and well laid-out musical journey with lots of highlights and unexpected twists and turns. Fred pulled out every trick in the prepared guitar book - from the old twanging drum stick between the strings to an array of effects and looping pedals and beyond. But with his mastery of music and his instrument it never felt like he was depending on the gimmicks, more using them to great effect to build up a complex, multilayered soundscape and every-evolving composition. He was well matched up with Danielle Palardy Roger, who also had all of the extended techniques and managed to make great music with them. They both seemed to be following their own paths the whole way not interacting too much like some free improv players do, creating a sort of back and forth conversation type of sound, but their individual paths meshed perfectly well together, so maybe they were both just following the music more than their own instrumental egos. Adding an extra oomph to the coolness of the show was when first Fred Frith let loose a barrage of percussive and wailing tribal vocals, followed a little later on by vocal sounds along similar lines from Danielle Palardy Roger. Took it to another level beyond the often staid confines of stylized free improv into something more about music in a broader and more sophisticated sense.
An awesome concert, and I think it was part of a recording project so it may see the light of day on CD in the not too distant future…
Danielle Palardy Roger est une battante de la musique actuelle. Même au banc de sa batterie, baguettes en main, la musicienne, compositrice, improvisatrice et productrice est mue par une force tranquille: celle des artistes qui n’ont d’autres choix que de faire ce qu’ils font tellement leur vocation est viscérale. À 54 ans, sous des cheveux bouclés en bataille et derrière des yeux d’un bleu profond, la rebelle est encore fidèle au poste et poursuit son travail de pionnière qui a mis la musique actuelle sur la carte québécoise.
À 27 ans, forte d’une créativité qu’elle déployait déjà en arts visuels, Danielle Palardy Roger s’est remise à la pratique artistique après avoir tourné le dos à l’académisme contraignant des arts appliqués. «À la suite d’une rencontre avec des musiciens d’avant-garde, j’ai décidé de plonger en musique, même si je n’avais pas de formation académique. Et justement, c’est en abordant ce nouveau monde sans cadre précis que j’ai pu explorer et développer ma créativité avec l’improvisation.»
Danielle Palardy Roger jouait des «drums» dans une fanfare, ce qui explique le choix de son instrument de prédilection, la batterie (et les percussions). «Je pouvais exprimer les rythmes et les sons, et il y a des rapprochements à faire avec la peinture comme le tachisme, l’automatisme et tout l’art du mouvement. Mais ce qui me portait et me porte encore, c’est l’improvisation, cette notion de liberté dans l’acte créateur, le hasard, l’aléatoire; tout ça demeure encore le plus grand moteur de ma créativité.» Le résultat: d’étonnantes fresques sonores, bruitistes, exploratoires, souvent minimalistes mais qui ne laissent pas indifférent. Le bruit, sans fureur.
Pionnière dans l’aventure
Évidemment, Danielle Palardy Roger n’était pas seule dans l’aventure. «Au début des années 80, on parlait peu du vocable ‘musique actuelle’. En Europe, on disait plutôt musique de traverse ou improvisée. Avec notre premier vinyle (du groupe Wondeur Brass), on s’est aperçu qu’on s’inscrivait dans un courant qui se précisait de plus en plus, porté par les musiques de Jean Derome, René Lussier, André Duchesne, Joane Hétu et Diane Labrosse. Ces deux dernières sont directrices artistiques de SuperMémé (devenu SuperMusique), une société de concerts fondée avec elle en 1979. Tout ce beau monde s’est regroupé pour fonder ensuite l’étiquette de disques Ambiances Magnétiques (aujourd’hui représentée par DAME), premier pas important pour la diffusion des musiques de la jeune scène actuelle au Québec. Et, presque simultanément, naissait le Festival international de musique actuelle de Victoriaville.
En 25 ans, plusieurs aventures, en concert et sur disque, ont ponctué le parcours de la musicienne et de ses alliées des premières heures: le trio Les Poules et Tricotage, un duo récemment formé avec la contrebassiste française Joëlle Léandre, sans compter tous les collectifs bruitistes et concerts thématiques avec de grands noms de la musique actuelle ainsi que les tournées internationales et nationales. Et des événements majeurs, tel le premier Festival international des musiciennes innovatrices, ont beaucoup contribué à la cause des femmes dans l’industrie musicale. De plus, Danielle Palardy Roger est l’auteure d’une vingtaine de compositions, pour musique écrite ou improvisée dont la Symphonie portuaire 2001, le livret et la musique du conte pour enfant L’Oreille enflée (1994), des musiques pour la danse, ainsi que de nombreux ducs, trios et quatuors pour divers instruments. Tout ça, un peu dans l’ombre…
Un long pèlerinage
Il faut avoir la vocation pour évoluer dans un courant plutôt «underpround» qui n’est pas précisément populaire. Mais les petits pas gagnés sont pour Danielle des pas de géant. Aujourd’hui, en plus de ses activités d’artiste, elle est notamment vice-présidente du Conseil d’administration du Conseil québécois de la musique et vice-présidente du Conseil régional du Centre de musique canadienne au Québec. Un lieu privilogié pour faire bouger les choses.
«Dans tous les courants de la musique d’aujourd’hui, il ne faut pas se leurrer, le développement du public est difficile. Tout le monde peut dire qu’il a entendu parler de musique actuelle mais ça ne veut surtout pas dire qu’on en consomme ou en écoute. C’est la reconnaissance de ces musiques qui pose problème et c’est en partie à cause du peu d’appuis à la diffusion de nos radios commerciales et d’État. Le public accuse un grand retard dans la perception des arts sonores, alors qu’il a pourtant bien absorbé l’éclatement des arts visuels. Je l’explique par la difficulté du corps à absorber le son qui fait écho jusque dans les viscères, un son qui déstabilise et dérange plus l’organisme qu’une image choquante.»
Danielle affirme que le jeune public est celui de l’avenir pour la musique actuelle. «Il est ouvert, très réceptif et démontre beaucoup d’intérêt et d’aptitude pour le genre. Et même dès l’enfance. Joane Hétu et moi donnerons d’ailleurs un atelier d’improvisation à des élèves du primaire à l’École Maisonneuve (Hochelaga-Maisonneuve) où ils composeront une pièce avec la technique d’improvisation.»
Parmi ses nombreux projets, Danielle écrit présentement Bruiducoeur, un oratorio de plus d’une heure pour chœur, solistes et narrateurs qui sera présenté à l’Espace Go au printemps 2004. Mentionnons aussi la composition d’une partition graphique pour l’ensemble SuperMusique (ensemble à géométrie variable) en vue des Journées québécoises de la musique improvisée en février prochain, et une tournée aux États-Unis et en Espagne avec le trio Les Poules au cours de l’automne. Un vœu pour l’avenir? «Avoir plus de temps pour rêver, composer et créer.»
Pour Danielle Palardy Roger, le temps est précieux et compté. Sa vie est réglée comme du papier à musique et pas question d’en perdre une seconde. Autrement, elle ne serait pas où elle est aujourd’hui. La situation de la musique actuelle au Québec est encore une de ses principales préoccupations. Voilà certainement un enieu de taille dans le travail de la musicienne, enjeu qui ne laisse aucune place à l’improvisation.
Montréal ne serait pas Montréal sans l’effervescence des artisans de la musique actuelle qui sont de mieux en mieux organisés, de plus en plus connus et de plus en plus persuadés que l’originalité attise les muses.
Quatre musiciennes de ce milieu viennent de lancer le groupe Justine, qui, sous un prénom presque sage, emprunte un parcours inédit. Ce quatuor féminin regroupe Joane Hétu, Diane Labrosse, Danielle Palardy Roger et Marie Trudeau, qui naviguaient naguère sous le nom de Wondeur Brass. Mais, comme il ne reste plus qu’une saxophoniste parmi elles et que le soutien-gorge n’a plus la valeur symbolique qu’il avait, leur nouveau nom rompt la continuité, pour annoncer une musique déjà plus synthétique, tournée encore plus résolument vers un éclectisme rayonnant.
Ces femmes le disent: elles ont du cœur. Tellement que même l’oreille la plus étrangère à cette musique truculente, désobéissante et joyeusement délirante ne peut rester indifférente à la fête à laquelle elle est conviée. C’est une fête qui bouleverse ou qui séduit; pas de milieu. Avec son premier disque, le groupe Wondeur Brass ravissait; avec le deuxième, Simonéda, reine des esclaves, ces femmes réfléchissaient et frôlaient sérieusement le domaine de la musique contemporaine dite sérieuse. Avec le disque qu’elles lançaient fin mai, aux Loges, et qui s’intitule Justine (suite), elles se mettaient à danser sur la corde ténue de la fin de siècle, avec tout ce que cet exercice suppose de bravoure et de générosité. Car, ces suites modernes, faites pour convier au mouvement, sont l’appel à une grave liberté, une invitation vers une rencontre où les repères sont changés et où le parcours ne suit aucun mode d’emploi.
Dimension sonore Dimension ludique
Justine, sous certains aspects, relève du fabuleux. Et, lors des spectacles qui ont suivi le lancement du disque, on sentait chez les quatre musiciennes une connivence qui tient d’un conciliabule de fées, réunies là pour conjurer, pour créer une dimension sonore ou ludique qu’elles ont conçue expressément pour qu’elle leur échappe. Il s’agit bien d’un monde sans recettes connues, où le regard est lucide et l’avenir affronté sans détour. On a, pour seul guide, un plaisir à saisir, un plaisir à double tranchant, qui séduit un instant pour aussitôt décontenancer.
«Notre pensée musicale est une cohabitation de paradoxes», dit Danielle Roger, pour situer l’univers justinien (n’y avait-il pas un empereur de ce nom?… ). «C’est à l’image du monde dans lequel on vit, explique-telle, où tout coexiste: la cybernétique et les modes de vie ruraux et anciens; la musique acoustique et la musique synthétique.»
«L’Est et l’Ouest», renchérit Joane Hétu.
La mesure d’une belle démesure
S’il fallait les décrire en groupe, assises dans un salon du Plateau Mont-Royal, on n’aurait jamais la mesure de leur belle démesure, parce qu’elles ont la simplicité des gens qui innovent, sans chercher à se rallier au son radiophonique, et dont la carrière est bâtie sur une grande et singulière part d’incertitude. Mais elles ne forment certainement pas un groupe hétéroclite. La plupart d’entre elles jouent ensemble depuis des lustres.
Danielle Roger, quand elle n’est pas à la batterie, est sans doute la plus intellectuelle du quatuor et articule ses pensées avec facilité, à l’aise dans l’abstraction. En musique, elle parle en rythmes, cherche sans cesse à les briser, à les triturer, à les dérouter, et s’amuse follement à dépenser des centaines de calories sur scène. Son énergie est au moins égale à celle de Joane Hétu, la saxophoniste, qui illustre le mieux l’individualité de chacune d’entre elles et qui a, depuis longtemps, pris le parti de la dissonance. Elle a une voix de prêtresse sombre, une voix de l’inconscient, qui donne des frissons dans L’intelligence du cœur.
Diane Labrosse, aux claviers, a un faible pour l’harmonie, et sa féminité bien assise en fait la voix idéale de tout ce qui est évocateur dans la douceur. Si la voix de Danielle Roger joue avec un comique désopilant la candeur et sait parfois l’étirer jusqu’à frôler l’hystérie, celle de Diane Labrosse a une qualité publique de speakerine officielle ou d’observatrice plus détachée; elle serait en quelque sorte la conscience sociale, le message à lire. Marie Trudeau, à la basse, illustre l’ingéniosité et le détachement; avec ou sans archet, elle est polymorphe et évoque une variété de sons et de personnages (des météores, peut-être?).
Attention: électricité
Difficile à décortiquer: ces dames ne jouent pas seulement d’un instrument. Leur corps est de la partie. Elles font une foule de bruits inimaginables, qui évoquent souvent les cris des viscères. Elles tirent d’ailleurs parti de tout dans la composition de leur musique; de tout, y compris des techniciens du son et du studio lui-même. Si l’on pouvait tirer un son d’un archet sur de la gomme à mâcher, Justine aurait déjà cette technique à son répertoire. Ces musiciennes se donnent complètement aux atmosphères qu’elles créent; on se sent pris à partie, sollicités, interrogés… et parfois survoltés, comme si on venait de mettre la main sur un fil à haute tension.
«Moi-même, je ne pourrais pas écouter la musique qu’on fait à longueur de jour», dit Joane Hétu. «Je deviendrais folle…»
Le nouveau départ avec Justine s’accompagne d’accessoires de haute technologie, tels que les synthétiseurs dont se servent Joane Hétu et Danielle Roger. Mais comme Wondeur fut naguère composé de musiciennes de rue, le groupe n’a rien perdu de ce qu’il a d’organique et de spontané sur scène.
«Notre musique n’est jamais finie, précise Danielle Roger. On fait partie de la nouvelle musique, qui ne voit pas la musique comme une partition; la musique est toujours vivante. Quand on est sur scène, la musique continue d’évoluer; elle se transforme et se développe selon ce qui est en train de se produire. Donc, la musique qu’on joue devant le public est encore une chose qui est en évolution».
Justine se trouve actuellement aux confins de la musique populaire, d’où le groupe tire son origine, tout près de la frontière de la musique contemporaine C’est presque un nomands land qu’elles occupent, ces bohémiennes de plus en plus disciplinées. Elles comptent se forcer à prendre des vacances, cet été, et remonter sur scène en automne. D’ici là, on peut entendre le justinien moderne (c’est presque une langue) sur cassette ou sur disque compact et se ventiler les oreilles avec quelque chose d’inédit.
Justine, vertueuse comme l’héroïne de Sade ou passionnée comme celle de Durrell est désormais le nom des quatre «super-mémés» rescapées de feu Wondeur Brass. En créant de la musique «contemporelle» tous climats, le quatuor présente ce soir son nouveau spectacle au bar-théâtre Les Loges.
De nos jours, il faut être un peu vertueux pour oser s’aventurer sur une voie musicale pareille et terriblement passionné pour continuer un tel combat. Justine bâtit un répertoire improvisé ou structuré que l’on entend seulement à la radio communautaire ou bien dans les festivals de musique actuelle ici ou à l’étranger. Autrement dit, les filles de Justine (Joane Hétu, sax alto et synthétiseur; Diane Labrosse, claviers; Danille Roger, batterie et synthétiseur; Marie Trudeau, basse électrique), mènent une carrière très clandestine.
D’autant plus confidentielle que leur dernier album, Justine (Suite) sur l’étiquette Ambiances magnétiques, est diffusé à 2000 exemplaires, cassettes et disques compacts confondus. Aussi bien dire une goutte d’eau infiltrée dans l’industrie du disque.
Mais le but des musiciennes est d’explorer sans concession un monde sonore syncopé, arythmique ou bien mélodieux, étudié et vibrant. Chacune compose la musique, trouve les thèmes, fait les arrangements et chante.
«Personne ne dirige le groupe explique Diane Labrosse, on veut plutôt se partager équitablement le pouvoir.»
Revenons au début de la décennie: Wondeur Brass commence sa vie d’artiste. Une fanfare «au féminin» de sept cuivres se baladait alors au gré des festivals de jazz et de musique actuelle en Amérique et en Europe. En brassant tellement les genres, la formation finit par tâter de la musique électronique en plus de la musıque acoustique. Un son neuf émergea. Un nouveau nom aussi: Les poules gloussèrent large en improvisant et composant sans relâche.
La suite des choses prit la forme de l’album actuel dans la foulée de Wondeur Brass et compagnie. Une Suite composée de «courbes et de détours, de jeux et de variations sur eu même».
Le quatuor esquisse des idées musicales, aborde divers sujets, fait mine de se perdre dans les méandres sonores ou sémantiques. Justine ne fait pourtant rien de plus qu’illustrer la vıe dans sa complexité même. L’album annonce la fin de siècle par des titres fracassants: Je suis exécrable, J’ai perdu le temps, J’ai perdu le sommeil, À ne plus savoir, Ça me bat le cœur, etc.
Ça revêt aussi des accents de Meredith Monk (la voix poignante de Diane Labrosse), de Laurie Anderson (le synthétiseur affolé de Danielle Roger), de John Zorn (le saxophone sec de Joane Hétu), de Fred Frith (la basse «free-funk» de Marie Trudeau).
Les voix des musiciennes s’emballent aussi de manière rythmique mélodique ou percutante. Des quatre, c’est Diane Labrosse qui possède l’étoffe d’une chanteuse: un professeur la guide actuellement en ce sens.
Justine étonne par sa musique synthétique fort rigoureuse. Quelque temps avant la sortie de leur album, Hétu, Labrosse, Roger et Trudeau ont retravaillé systématiquement le mixage à l’aide de Robert Langlois.
«Tout ce que l’on désire c’est de pouvoir continuer longtemps à prendre des risques musicaux. On n’a pas choisi cette voie pour se la couler douce ou devenir des vedettes internationales», conclut-t-elle.
Précisément quand Justine (Suite) amorce sa carrière japonaıse!