It has been more than 30 years now since self-taught composer, vocalist and saxophonist Joane Hétu has been following her own highly distinctive path through the vast territory of creative, contemporary music. From her beginnings with song-based new-rock bands such as Wondeur Brass, Justine and Les Poules, Hétu turned to composition (the evocative triptych comprising Musique d’hiver, Filature and La femme territoire ou 21 fragments d’humus) and improvisation, more often than not combining both within her general approach to music. She has co-directed the Ensemble SuperMusique since its founding in 1998, as well as the weekly series Mercredimusics since 2002. More recently she gave birth to La chorale bruitiste Joker (2012). Joane Hétu was awarded the prestigious Freddie Stone Award (2006).
Le 16 février prochain, Le Vivier présentera une Grande soirée anniversaire pour les 25 ans de la maison de disques DAME, qui représente le courant de musique actuelle au Québec. Rendez-vous a été pris avec sa fondatrice Joane Hétu, pour parler avec elle du rôle joué par DAME depuis sa création à aujourd’hui, tout comme des prochains enjeux et de cette fameuse soirée anniversaire sous forme d’un grand concert produit par Productions SuperMusique.
D’où vous est venue l’envie de créer DAME? Y a-t-il eu un événement déclencheur?
J’ai commencé à faire de la musique au début des années 1980, alors qu’à la même époque était créée l’étiquette indépendante Ambiances Magnétiques dont je suis devenue membre en 1985 par le biais de Wondeur Brass. À cette époque, on produisait des vinyles et il n’y avait pas beaucoup d’étiquettes indépendantes, «non commerciales» ou peut-être devrait-on dire «de création». Les musiciens d’Ambiances Magnétiques peinaient à avoir du soutien pour produire leurs albums et l’étiquette se structurait sans aucun appui tant du gouvernement du Québec que du Canada. En 1991, après avoir consulté certains intervenants gouvernementaux et à la lumière de leurs propositions, j’ai fondé DAME, acronyme de Distribution Ambiances Magnétiques Etcetera, qui a le mandat de produire et de distribuer les disques de l’étiquette Ambiances Magnétiques tout en ouvrant son catalogue à d’autres étiquettes.
Quels genres de musique ou d’artistes regroupez-vous sous l’étiquette «musiques en marge de l’industrie commerciale et représentant principalement le courant de musique actuelle au Québec»? Comment avez-vous choisi vos artistes, par exemple?
En tout premier lieu, j’ai toujours travaillé en collaboration avec les artistes. J’ai établi un lien de confiance avec eux et nous avons produit les albums en additionnant leurs moyens et ceux de DAME. Nous avons grandi ensemble et la relation de partenariat s’est solidifiée. Je ne travaille pas dans l’idée que je cherche un talent, non, je travaille avec des artistes que je rencontre, à travers les affinités qui s’opèrent dans la communauté. C’est 25 ans d’histoire, c’est plus d’une centaine de musiciens qui ont produit chez DAME. Ce ne sont pas des musiciens nécessairement très connus, mais ils sont tellement intéressants, pour en nommer quelques-uns: Jean Derome, Pierre-Yves Martel, Tim Brady, Danielle Palardy Roger, Martin Tétreault, Pierre Tanguay, Diane Labrosse, Lori Freedman. C’est une grande famille dans un monde parallèle. DAME documente ce patrimoine musical précieux et fait en sorte que ces musiques soient représentées, soutenues, disponibles et que cette histoire artistique soit accessible d’une certaine façon. Au final, ce sont les affiliations, l’intelligence de la musique et des relations humaines qui ont guidé DAME.
Quelles sont les principales missions de votre maison de disque?
Eh bien, c’est un long parcours 25 ans, alors j’ai eu à m’adapter à plusieurs situations. Quand j’ai fondé la compagnie, on produisait des vinyles, puis on est passé aux CDs, et maintenant c’est le format numérique en plus du vinyle qui revient, tout cela est assez incroyable. L’idée principale, c’est de diffuser cette musique. En ce moment, l’industrie est complètement chamboulée. C’est assez compliqué de s’y retrouver, mais je garde toujours en tête que c’est important d’enregistrer ces musiques, et de les rendre disponibles via le plus de plateformes possibles. On ne peut prédire ce que l’Histoire retiendra, mais je crois à cette musique, je l’aime, je la respecte et je lui accorde une tribune. J’ai un magasin virtuel sur www.actuellecd.com où on peut encore acheter des disques physiques. Ces musiques sont aussi distribuées sur des plateformes numériques comme iTunes et bandcamp. Et puis, si quelqu’un s’intéresse à l’un de ces musiciens et qu’il tape son nom par exemple sur Google, il va forcément arriver sur le site d’actuellecd.com, qui est référentiel. Le site propose des portraits de musiciens incluant la discographie de ceux-ci, des photos, des notices biographiques, des critiques et ainsi on retrouve un historique musical de l’artiste. C’est une mine d’or, il me semble!
Et justement, en parlant de l’industrie musicale qui a beaucoup évolué, est-ce que vous avez eu l’impression que le rôle que vous aviez à jouer avec DAME depuis les 25 ans qu’elle existe a aussi changé?
Oui, c’est sûr. Le monde est devenu plus individualiste, dans tout. Je travaille avec l’idée du collectif, parce que si l’on se met tous ensemble, on va être plus forts et l’on va avoir plus d’impact. Mais en règle générale, les artistes pensent maintenant qu’ils peuvent s’en sortir tout seuls. Avant, dans les années 1980, on ne pouvait pas, on était obligés d’être avec une major sinon on n’arrivait à rien. Ensuite, il y a eu une prolifération de compagnies et d’étiquettes indépendantes, et enfin, on en est arrivé au stade où les artistes peuvent s’autoproduire du début à la fin. Les artistes, désormais, font un album avec DAME, un autre avec une autre maison de disques et puis encore un autre à leur nom qu’ils gèrent eux-mêmes sur leur bandcamp… Il y a une multitude de sources, mais je pense que le cœur de DAME reste quand même une référence puissante et appréciée des artistes et du public.
Quand vous enregistrez les artistes de DAME, y a-t-il un studio en particulier avec lequel vous travaillez, une salle de prédilection pour faire la captation de la musique, ou cela est spécifique à chaque cas?
Je n’impose rien à personne, mais historiquement depuis le début d’Ambiances Magnétiques, plusieurs musiciens se sont associés au Studio 270 à Montréal, où Robert Langlois y est le preneur de son. Il doit y avoir près de la moitié des disques de DAME qui ont été faits là-bas. Mais les musiciens peuvent enregistrer leur album où ils veulent.
Qu’est-ce qui vous a rendue le plus heureuse depuis ces 25 ans que DAME existe?
Tout ce parcours a été d’une certaine façon un sacrifice pour moi, quand j’y pense. Je suis aussi musicienne, j’ai amputé plus de la moitié de ma vie de compositrice et d’instrumentiste à travailler chez DAME. Maintenant, je ne pourrais pas laisser couler le bateau. Pour la communauté de musiciens, pour mes amis, pour ma musique, j’en ai besoin d’une façon viscérale, c’est en moi, je veux toujours sortir de nouveaux disques, soutenir de nouveaux projets. Je suis vraiment contente après 25 ans de constater que DAME a tenu la route. On est une belle équipe, on travaille fort. Je suis encore fascinée par les nouvelles avenues que prend la musique, je vibre à ça. J’ose espérer qu’il y aura une vie future pour la structure et l’histoire qui y est archivée. C’est émouvant de penser que DAME est l’une des rares compagnies en musique spécialisée au Canada qui existe depuis 25 ans. D’ailleurs, dans le monde, on n’est pas beaucoup non plus.
En quoi consiste votre affiliation avec Le Vivier? Qu’est-ce que cela vous permet mutuellement?
Le Vivier est un diffuseur de musiques nouvelles qui regroupe plus de 30 organismes. Le milieu a travaillé à mettre sur pied Le Vivier car c’est important de créer un lieu identitaire fort pour les musiques nouvelles à Montréal et au Québec. DAME est un organisme satellite au Le Vivier, puisque c’est une compagnie de disques et que le principal objectif du Vivier est de présenter des concerts. Je suis également codirectrice de Productions SuperMusique, qui est aussi membre du Vivier et qui produit le concert du 16 février prochain. SuperMusique a d’ailleurs fêté son 35e anniversaire l’année passée, ça fait donc longtemps qu’on est impliqués ensemble et qu’on représente la musique actuelle et improvisée. Le Vivier est le petit nouveau dans tout ça, on fonde beaucoup d’espoir dans cette aventure car c’est stimulant d’avoir un lieu vibrant qui réunit le milieu.
Pour terminer, pourriez-vous justement nous donner des détails croustillants sur cette grande soirée anniversaire qui a lieu le 16 février prochain au Gesù?
On est très heureux de présenter ce concert! On va habiter trois lieux: le hall d’entrée, l’Espace Custeau et l’amphithéâtre du Gesù. Il va y avoir plusieurs prestations musicales, un kiosque de disques qui défie toutes compétitions, et des surprises! L’Ensemble SuperMusique (16 musiciens) interprétera, en première mondiale, une pièce commandée par Productions SuperMusique au tromboniste/compositeur Scott Thomson Archive/Mémoire, qui revisite le catalogue de l’étiquette Ambiances Magnétiques à laquelle s’ajoutera 7 autres prestations associées à des nouveautés discographiques.
Cette soirée sera donc l’occasion de célébrer la vitalité, la richesse et l’enthousiasme des musiques nouvelles, avec:
[Entretien audio #1: à propos de Nous perçons les oreilles, 9min20sec; Entretien audio #2: à propos de la pièce Le mensonge et l’identité, 19min20sec]
Saxophoniste et chanteuse, aussi codirectrice des Productions SuperMusique et cofondatrice de la maison de distribution de disques DAME, Joane Hétu mène depuis trente ans son bonhomme de chemin de musicienne. Elle s’est frottée à la danse en composant, accompagnant ou improvisant pour O Vertigo, Danse-Cité ou Andrew Harwood. Et elle écrit ses propres spectacles, y cherche la friction entre les genres, le réel interarts. «On aime beaucoup les comètes, en art, mais m’intéressent surtout les gens qui ont une pratique très longue, qui mûrissent, qui font ce travail de peaufiner leur langage, admet avec philosophie la musicienne. On n’a pas tous le même rôle en art. Si j’avais le choix, je ferais la musique que le monde aime, et je ne sais pas pourquoi je suis “pognée” avec ce parcours d’avant-garde, ce travail dans l’ombre, à repousser tranquillement les frontières. C’est mon rôle, ma fonction. Tout ce que j’ai à faire, c’est d’être à l’écoute, de respecter l’art qui émane de moi, de lui donner sa chance.»
Cette fois, ce sont des textes qui ont inspiré à Joane Hétu cette Femme territoire ou 21 fragments d’humus. Shakespeare, Tchekhov, Rilke et le poète grec Constantin Cavafy. «Je voulais porter ces textes, ils devenaient essentiels, il m’était impératif de les partager», précise-t-elle. Des textes dits de sa voix de cinquantenaire, de celle de la danseuse, chanteuse et chorégraphe Susanna Hood, dans la quarantaine, et des jeunes tonalités d’Alice Tougas St-Jak, musicienne de quelque vingt ans. S’ajoutent les musiciens Isaiah Ceccarelli et Jean Derome, et la vidéo de Mélanie Ladouceur. «J’aime les équipes bigarrées, avec des gens de tous les âges. Je voyais, pour le spectacle, une troupe de nomades qui se promène, des musiciens qui jouent avec très peu d’instruments, une musique ténue, atmosphérique.» Musique de rien, de voix et de corps aux présences travaillées avec une autre chorégraphe, Catherine Tardif.
En résulte, dit la directrice artistique, une pièce à numéros, organique, faite de petites bulles qui remettent en question le territoire, l’amour, la mort, l’art et la politique. «Cette femme territoire est immense. L’idée de territoire, c’est autant la Terre, ma chambre, le Québec, mon âme… une femme qui devient vastitude.» Un projet, dit la créatrice, charnière pour elle, qui pourrait l’entraîner dans une nouvelle direction.
Trois soirs, trois concerts pour présenter Récits de neige, troisième volet du tryptique Musique d’hiver de Joane Hétu.
La musique, elle, continue d’exister au-delà du spectacle, va plus loin. Elle ouvre l’atelier de Joane Hétu et permet d’en découvrir et d’en explorer la structure: des lieux bâtis avec force, une incroyable patience et une vision bien ancrée dans le réel, temps et espace. Comme dans Filature sa précédente composition, la musique de Récits de neige donne à voir et à entendre la complexité de la construction, l’enchevêtrement des idées, des images, des sons, des paroles. C’est une musique personnelle, au sens où elle transmet l’incroyable générosité de l’artiste dans son adresse à l’autre - l’écoute, la perspicacité, l’attention: un donné jamais posé comme certitudes, mais comme chants pour le dire, annoncer les couleurs, clamer l’amour, réclamer le juste et la paix.
Joane Hétu conclut son triptyque sur l’hiver avec Récits de neige
Et de trois. La compositrice Joane Hétu conclut son triptyque sur l’hiver avec Récits de neige. On aura beau lui reprocher d’être trop longue, la saison froide peut être inspirante, surtout quand elle enveloppe la ville de son manteau blanc.
«J’aime l’hiver, j’aime le son, l’effet cocon que ça produit», confie la saxophoniste-vocaliste, aussi membre de l’étiquette Ambiances magnétiques et présidente de la maison de disques DAME. «C’est une saison qui a toujours été créative pour moi. Dans l’industrie du disque, janvier, février et mars sont plutôt tranquilles, ça laisse du temps pour composer. C’est précieux.»
Elle amorçait l’aventure hivernale en 2000 avec Musique d’hiver, alors que les Productions SuperMusique (qu’elle codirige) articulaient leur programmation autour des quatre saisons. Trois ans plus tard, la saison blanche lui inspirait Nouvelle musique d’hiver, avec promesse d’un troisième et dernier chapitre.
Comme ses deux spectacles frères, Récits de neige se divise en quatre mouvements. Mais ce spectacle-ci, qui réunit sept musiciens-improvisateurs (les routiers Jean Derome, Diane Labrosse, Pierre Tanguay, deux nouveaux collaborateurs, Alexandre St-Onge et Scott Thomson, en plus de Joane Hétu elle-même), recentre son propos sur la neige, plus spécifiquement sur la géométrie du flocon.
«Il fallait que j’aille à l’essence même de l’hiver: la neige. J’espérais composer 30 courtes pièces que les musiciens pourraient amalgamer comme ils veulent, comme des flocons, qui ont chacun une géométrie différente.» L’esprit des petits fragments est resté, mais la complexité du procédé et le manque de temps de création ont obligé la musicienne à prendre une autre direction.
«J’ai demandé aux musiciens de raconter des anecdotes, des souvenirs liés à l’hiver et à la neige», raconte-t-elle.
Après l’approche plus personnelle et ambiante du premier volet et celle, plus documentaire et bruitiste, du second, le troisième opus pour instruments acoustiques et électriques réunit les deux factures, avec des moments parlés, des mélodies et des segments plus abstraits. Les projections visuelles, discrètes dans les deux autres productions, prennent de l’ampleur sous la gouverne de Mélanie Ladouceur.
«Je voulais m’investir dans l’idée que les autres formes d’art sont au service de la musique», explique Joane Hétu. Sa dernière production, Filature (2006), la plus ambitieuse de sa carrière, mettait en scène danseurs et images vidéo, constituant une forme de théâtre sonore qu’elle souhaite approfondir. Cette production lui a d’ailleurs valu le prix Freddy Stone.
«Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de créer des shows-concepts, plus habillés, plus complexes qu’un concert», dit celle qui a d’abord joué les rockeuses déjantées au sein des formations Wonder Brass et Les Poules avant de se tourner vers la musique actuelle.
Cette nouvelle création de théâtre sonore fera l’objet d’un CD l’an prochain, à l’instar des deux premières productions hivernales.